Interview de Maître Wang Haijun
Les textes ci-dessous proviennent d’une interview de Maître Wang Haijun réalisée par l’un de ses élèves polonais - Lukasz Kanski-Chmielewski) . L’intégralité de l’interview peut être trouvée sur Youtube à l’adresse suivante https://www.youtube.com/watch?v=gH8HjwrM0iE
1 - Taichi, les principes de l’entraînement
Question: Vous avez commencé à pratiquer le Taichi à 11 ans. Est-ce que vous pouvez nous parler de vos premières années à Chenjiagou ?
Maître Wang: Mes parents, en particulier mon père, aiment beaucoup les arts martiaux. Mes parents ont deux fils, et ils ont choisi de faire faire des études à l’un et des arts martiaux à l’autre. Mon frère a fait des études, et moi, mes parents m’ont envoyé quand j’avais 11 ans apprendre le Taichi auprès de mon professeur. Mon père connait (bien) Chen Zhenglei, 19ème génération de la famille Chen. Donc, à 11 ans, je suis parti vivre chez Chen Zhenglei à Chenjiagou.
A l’époque, à Chenjiagou mais également en Chine, il n’y avait pas tant de monde que cela qui pratiquait le Taichi. Ce n’est pas comme maintenant où il y a 300 millions de personnes qui apprennent, qui étudient le Taichi. Le Taichi est répandu dans le monde entier. A Chenjiagou, dans un village de 3000 personnes, il y a 70% de la population qui pratique le Taichi. Les enfants commencent à étudier le Taichi à 4 / 5 ans. Même à 2 ans, les enfants connaissent le Jin Gang Dao Dui. Que les gens pratiquent ou pas le Taichi, ils connaissent tous le Jin Gang Dao Dui.
Question: Est-ce que vous vous rappelez les premiers mots que vous a dit Chen Zhenglei ?
Maître Wang: Quand je suis allé chez mon professeur, il m’a dit que si je voulais apprendre les arts martiaux, il fallait travailler dur. Il faut beaucoup entraîner le corps. Mais en Taichi, ce n’est pas seulement le corps qui doit travailler, c’est aussi l’esprit. Il faut que l’esprit soit calme pour ressentir l’énergie à l’intérieur du corps. Pour certaines personnes, faire de l’exercice leur fait du bien. Mais leur esprit est ailleurs. Mais en Taichi, on dit que si l’esprit se calme, le corps peut commencer à se relâcher vraiment. C’est pour cela que les premières choses que m’a dites mon professeur, c’est que pour être bon en Taichi, il fallait non seulement travailler dur, mais également travailler seul. En fait, la plupart du temps, on travaille seul. Quand j’avais 15, 16 ans, après dîner, j’allais pratiquer dans le petit creux près du village. C’est un endroit très calme. Parfois c’est éclairé par la lune, parfois c’est très sombre, si sombre que l’on ne voit pas sa main. Quand vous pratiquez dans ces conditions, sans rien voir, alors votre esprit peut se concentrer sur ce qui se passe à l’intérieur.
Question: Combien d’heures par jour vous entraîniez-vous ?
Maître Wang: A Chenjiagou, je m’entrainais le matin, puis j’allais à l’école, puis je m’entrainais en rentrant de l’école, et ensuite après dîner. La plupart du temps, c’était donc trois entraînements par jour, soit 3 à 4 heures par jour.
Question: Fan Song, Ding, Chen, Peng sont des fondamentaux du Taichi. Que devons-nous travailler en premierlorsque l’on commence le Taichi, et que doit-on développer lorsqu’on est plus avancé dans la pratique ?
Maître Wang: Song, Chen, Rou sont les trésors du Taichi. Song, c’est le relâchement. Chen, c’est l’enracinement. Rou, c’est la douceur. Les trois sont liés. Si vous n’êtes pas relâché, vous ne pouvez pas être doux. Si vous n’avez pas la douceur, alors vous ne pouvez pas être enraciné. Si vous n’avez pas l’une, alors vous ne pouvez pas améliorer les autres.
Il est très important de sentir le relâchement en premier. Parce que le corps est habitué à contracter les muscles dès que l’on bouge. C’est pour ça que lorsqu’on commence, il faut commencer par travailler le relâchement. Ensuite, sentir que grâce au relâchement, l’énergie est lourde. Quand on est relâché, on arrive à avoir des mouvements doux, fluides. Tout est connecté au centre, au Dantian.
Question: Est-ce que les élèves en Occident comprennent le concept de relâchement comme les élèves Chinois ?
Maître Wang: Oui, c’est presque la même chose. Nous sommes tous des êtres humains. Pour les Chinois, c’est plus facile à comprendre du fait des différences culturelles. Pour les Chinois, comme pour les Occidentaux, si on veut améliorer son niveau de Taichi, la chose la plus importante, c’est de commencer tôt. Tous les Maîtres des générations antérieures ont tous commencé jeunes. Chen Zhenglei, Chen Xiaowang ont de très bonnes compétences en Taichi. Ils ont tous commencé jeunes. En Occident, c’est plus difficile de trouver des gens avec un très bon niveau de Taichi parce la plupart commencent plus tard, à 30 ou 40 ans.On peut toujours s’améliorer, mais quand on commence jeune, à 8 ou 10 ans, les articulations se développent en même temps qu’on s’entraîne. Le corps, articulations et muscles, grandit en s’adaptant au Taichi. Quand on commence le Taichi tardivement, on peut s’améliorer et le Taichi peut aider à se sentir mieux, à contrer le stress. Mais pour avoir un très bon niveau, commencer jeune, c’est mieux.
Question: Donc quelles sont vos recommandations pour des gens qui commencent à 30, 40 ou 50 ans ? à quoi les gens devraient faire attention ?
Maître Wang: Souvent, les gens qui commencent le Taichi pensent que les postures, ce n’est pas important. En fait, c’est faux. Si vous voulez être bon en Taichi, la première étape, c’est d’acquérirles postures justes. Apprendre l’enchaînement, c’est assez rapide. En Chine, on dit que si vous faîtes l’enchaînement 10 000 fois, l’énergie interne va sortir automatiquement. Les Grands Maîtres pratiquaient 10 000 enchaînements par an, soit 30 enchaînements par jour. Si vous voulez avoir un bon Gong Fu, vous devez faire beaucoup d’enchaînements pour arriver à ce que l’esprit et le corps soient bien connectés.
Dans la vie de tous les jours, l’esprit est sans arrêt tourné vers l’extérieur, vers ce qu’on a à faire. Mais quand on pratique le Taichi, il faut vraiment que l’esprit soit ramené à l’intérieur du corps.
2 - Taichi, les principes de l’entraînement
Question: Il y a 3 éléments importants pour avoir un bon Taichi, un bon professeur, une bonne compréhension du Taichi, et un bon entraînement. Peut-on commencer par le professeur ? Comment trouver un bon professeur ?
Maître Wang: Dans la tradition, l’élève remet une lettre au professeur pour lui demander de lui enseigner le Taichi. Le professeur prend 3 ans pour enseigner Laojia Yilu. Ces trois ans permettent au professeur de connaître l’élève et à l’élève de connaître le professeur. Au bout de ces trois ans, le professeur sait si l’élève est une bonne personne et s’il est capable de travailler sérieusement. Si c’est le cas, le professeur décide de continuer à enseigner à l’élève et de lui transmettre son art. Si à l’issue de ces trois ans le professeur sait que l’élève n’est pas une bonne personne, que son cœur n’est pas bon, alors il lui dit qu’il arrête de lui enseigner. Le professeur essaie de trouver des élèves qui lui conviennent: travailleurs, bonnes personnes, bons cœurs. (Maître Wang a habilement transformé ‘’comment trouver un bon professeur ?’’ en ‘’comment trouver un bon élève ?’’…)
Question: Et une bonne pratique. Que conseilleriez-vous aux gens pour une bonne pratique ?
Maître Wang: Si vous avez un bon professeur, et que vous avez une bonne compréhension du Taichi, ça ne suffit pas si vous ne travaillez pas suffisamment. Pour avoir un bon Taichi, c’est un tout. D’abord il faut ce qui se dit Xue Jia en chinois, ce qui ne signifie pas apprendre la forme, mais apprendre les postures. Le professeur vous guide pour reproduire ses postures.
Cela lui a pris des années pour obtenir ces postures, et vous devez essayer de copier ses postures. En deuxième arrive Nie Jia, le professeur apportant des corrections aux postures de l’élève, parce qu’il voit ce qui n’est pas correct, un coude trop haut, etc…. C’est comme si le professeur moulait une statue
Question: Troisième élément ?
Maître Wang: Le troisième élément, c’est ce qui s’appelle Dan Jia, ou Pan Jia. Vous regardez si votre posture s’améliore, et vous avez besoin d’un ‘’pan’’, une supervision. Et ensuite, quand tout est bien, il faut des répétitions et des répétitions pour obtenir la puissance, le Gong Fu (les 10 000 Laojia par an de Chen Fake).
3 - Organiser son entraînement
Question: Dans la pratique du Taichi, beaucoup de travail doit être fait à la maison, sans professeur. Comment doit-on organiser sa pratique ?
Maître Wang: Dans l’apprentissage du Taichi, il faut essayer de voir son professeur le plus souvent possible. Quand on s’entraîne seul à la maison, il ne faut pas chercher d’excuse pour ne pas pratiquer (il pleut, je n’ai pas assez de place,…). Il y a un dicton en Chine qui dit qu’il suffit de la surface d’une vache allongée au sol pour pratiquer la forme. Si un jour vous n’avez pas beaucoup de temps, si vous n’avez que 10 minutes, alors vous faites la position de l’arbre. Si vous avez 20 minutes, vous faites un Yilu. S’il fait beau et que vous avez un jardin, vous pouvez pratiquer l’épée. Pratiquer le Taichi, c’est un peu comme manger: il y a les entrées, le plat principal, et le dessert. Le plat principal, c’est la forme ; l’épée (ou autre),c’est le dessert. Il faut faire un peu de tout pour conserver l’intérêt de l’entraînement
Question: Notre entraînement doit-il être organisé d’une façon ou d’une autre ?
Maître Wang: Pour l’entraînement, plus on s’entraîne souvent, mieux c’est. S’entraîner (beaucoup) un jour puis ne rien faire pendant 3 ou 4 jours, ce n’est pas efficace. C’est en s’entrainant régulièrement que l’on va conserver le relâchement, l’étirement. C’est aussi meilleur pour la santé. Il vaut mieux pratiquer 10 minutes si on n’a pas le temps de faire plus que ne pas pratiquer du tout.
Question: A quoi devons-nous faire attention lorsque nous pratiquons le Taichi, quel que soit notre niveau ?
Maître Wang: Il faut faire attention à ce qu’on ressent. Il faut sentir son corps. Plus on progresse, plus cette sensation est forte. Il faut sentir son énergie.
4 - Utilisation du Taichi en combat
Question: Souvent, les gens qui pratiquent le Taichi depuis plusieurs années demandent à leur professeur quelles sont les applications, comment utiliser le Taichi ? Suis-je prêt à l’utiliser ? Combien de temps est-ce que ça prend pour utiliser le Taichi en auto-défense, comme un art martial. Qu’en pensez-vous ?
Maître Wang: C’est une bonne question ! Beaucoup de gens, quand ils apprennent le Taichi, veulent savoir quelles sont les applications du Taichi. Ils veulent apprendre la forme comme une suite d’applications. Quand vous apprenez d’abord les applications, vous mettez votre esprit dans l’application. Chaque fois que votre main va vers l’extérieur, vous pensez ‘’ah, c’est un Lu, comme si quelqu’un veut me frapper’’. Alors si vous commencez à faire ça, vous serez bloqué, la forme devient une succession de positions, un peu comme un dessin animé. Mais dans la pratique du Taichi on recherche la fluidité. Quand vous commencez à penser aux applications, votre flux d’énergie interne est également bloqué.
Si les élèves demandent parfois quelles sont les applications, si le professeur a les compétences, c’est OK de montrer l’application. C’est excitant pour l’entraînement. Mais si vous montrez le mouvement aux élèves, et que vous leur demandez de le faire, ça ne marche pas. Pourquoi ? Les élèves n’ont pas le Gong Fu, la puissance, la force, le mouvement spiralé. Ils n’utilisent que les mains parce qu’ils ne peuvent pas utiliser la rotation du Dan Tian, la rotation du corps, ils n’ont pas la vitesse, la puissance (nécessaire). Il m’arrive de montrer un mouvement simple qui va projeter l’élève, et quand je leur demande de me faire la même chose, ça ne marche pas. C’est parce qu’ils n’ont pas la vitesse, ils n’ont pas la coordination (interne-externe). Après quelques expériences, les élèves comprennent qu’ils doivent vraiment travailler la forme, pour acquérir cette énergie (Gong) et cette connexion entre l’interne et l’externe.
Date de dernière mise à jour : 15/04/2025